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lundi 30 mai 2011

Une nuit avec les "indignés" de la Puerta del Sol à Madrid



Vers 21 heures, samedi 28 mai, les "indignés" de la place Puerta del Sol, à Madrid, tiennent leur assemblée générale quotidienne.
Vers 21 heures, samedi 28 mai, les "indignés" de la place Puerta del Sol, à Madrid, tiennent leur assemblée générale quotidienne.Le Monde.fr/Audrey Garric

Ce soir-là, le campement de Madrid reçoit une invitée d'honneur : une manifestante de Barcelone. L'"indignée" catalane est là pour témoigner des violences policières de la veille, lors de l'évacuation brutale de la place de Catalogne pour que puissent être préparées les festivités de la finale de la Ligue des champions de football. La voix tremblante, encouragée par des "Nous sommes tous de Barcelone", elle se dit"heureuse d'être soutenue" et de constater la "solidarité entre les 'indignés' de toutes les villes". La foule l'acclame.
MADRID ENVOYÉE SPÉCIALE -
L'appel résonne à travers les hauts-parleurs installés à tous les coins de la place. Ce samedi 28 mai, comme chaque soir à 21 heures depuis le début du mouvement, il y a deux semaines, les "indignés" de la Puerta del Sol, à Madrid, tiennent leur assemblée générale quotidienne. Plusieurs milliers de personnes s'installent dans le centre emblématique de la ville suivant une organisation maintenant parfaitement rodée : on s'assoit en lignes en ménageant des couloirs réservés au passage ; on lève les mains de différentes manières pour signifier son approbation, son désaccord ou son incompréhension ; on peut aussi à tout moment demander de la nourriture ou de l'eau aux membres de l'organisation qui arpentent les rangées. Mais on n'interrompt pas les orateurs, doublés en langue des signes.


TOUR À TOUR DEVANT LE MICRO
Le rituel se poursuit : les représentants de chaque commission – juridique, action, environnement, art ou encore extension du mouvement – prennent tour à tour le micro pour informer des dernières avancées de leurs activités. Puis, chacun peut venir apporter sa contribution et créer le débat après en avoir fait la demande.
De l'autre côté de la place, la session du "micro est ouvert" se prolonge : les "indignés" se succèdent sans relâche à la tribune pour livrer leurs humeurs et susciter l'émotion, la joie ou la colère parmi un auditoire toujours fidèle. "Je veux faire des études supérieures pour faire un métier qui me plaît et non alimentaire", lance une adolescente. "Vous êtes les rayons du soleil, l'avenir de ce pays. Battez-vous !", renchérit un retraité.
Plus tard dans la soirée, la session "micro ouvert" se poursuit : chacun est invité à partager ses colères, ses émotions, ses indignations.
Plus tard dans la soirée, la session "micro ouvert" se poursuit : chacun est invité à partager ses colères, ses émotions, ses indignations. Le Monde.fr/Audrey Garric
Deux semaines après le début du mouvement de contestation du 15-Mai, le besoin d'expression et d'écoute demeure vivace dans la capitale espagnole et les revendications n'ont pas changé : un système plus égalitaire incluant moins de chômage pour les uns et de privilèges pour les autres, une loi électorale modifiée afin de favoriser l'émergence de nouveaux partis, et un engagement des institutions à diminuer la corruption au profit de la transparence.
"PLUS IMPORTANT QUE LE FOOT"
Vingt-trois heures. Le FC Barcelone vient de battre Manchester United en finale de la Ligue des champions. Pas de klaxons, de portables qui sonnent ou d'exclamations de joie. Il y a certes moins de monde que la veille sur la place, sans doute en raison du match. Mais happés par la gravité des sujets qu'ils abordent, les manifestants ne prêtent aucune attention aux résultats. D'autant que la rencontre est la cause indirecte des violences à l'encontre des "frères catalans".
"Jusqu'alors, les gens ne parlaient jamais de questions politiques ou sociales mais seulement de problèmes personnels et de foot, s'exclame Nicolas ManzanoHildalgo, 21 ans, étudiant en philosophie. Aujourd'hui, le ballon rond est renvoyé au second plan. On a plus urgent à régler !" Puis, le jeune homme confie, chuchotant :"Ici, les gens espéraient même une défaite du Barça pour qu'il n'y ait pas de célébration et donc pas de risque de débordements qui pourraient devenir un prétexte, pour les autorités, à évacuer les campements."
Durant ces grands rassemblements nocturnes, les représentants des commissions juridique, art, environnement... créées par le mouvement exposent les avancées, les questions, les idées qui ont émergé au cours de leurs travaux.
Durant ces grands rassemblements nocturnes, les représentants des commissions juridique, art, environnement... créées par le mouvement exposent les avancées, les questions, les idées qui ont émergé au cours de leurs travaux. Le Monde.fr/Audrey Garric


Peu après minuit, l'assemblée générale prend fin. Consigne des organisateurs : les micros doivent être éteints à 2 heures dernier carat pour épargner les riverains. La place se vide lentement. Si certains rentrent chez eux, beaucoup préfèrent encore flâner, écouter quelques riffs de guitare, palabrer, danser. La nuit avançant, c'est aussi le moment où la population des "indignés" rajeunit.
DES COSTARDS-CRAVATES AUX HIPPIES
"La sociologie de la place a évolué, estime Pablo Barez, musicien de 27 ans. Les premiers jours, il n'était pas rare de voir des gars en costard-cravate, à 4 heures du matin, venir se renseigner auprès des commissions. Maintenant, on croise essentiellement des hippies, des junkies ou des SDF. Bien sûr, tout le monde a le droit de venir ici. Mais si le camp perd de vue ses objectifs, cela pourrait mal finir."
Certes, la marijuana et la bière prospèrent dans le campement, contrairement au règlement. Malgré tout, on est loin des botellóns, ces grands rassemblements festifs traditionnels où l'alcool coule à flot, que redoutaient les organisateurs au début du mouvement : les "indignés" ne ménagent pas leur peine pour travailler et faire progresser la réflexion. A 3 heures du matin, sous les tentes, on débat encore entre commissions, on trie et classe les courriers de revendications des citoyens, on élabore des programmes, affiches et autres slogans, on renseigne les quidams et la presse, on prépare la nourriture, on joue aux cartes ou aux échecs.
Pourtant, les yeux se cernent chaque jour davantage à mesure que se succèdent les nuits sur le pavé. "Une partie des manifestants voudraient que le campement prenne fin car ils se sentent très fatigués. Mais une autre préfèrerait qu'il y ait davantage de rotations, afin que le mouvement continue, et que l'on puisse toujours se réunir et échanger", précise Nicolas Manzano Hildalgo.
A CINQ HEURES, LE CAMP S'ENDORT
Cette nuit, c'est la question que tous se posent : le campement va-t-il perdurer au-delà du dimanche 29 mai ? Les "indignés" sont divisés. "Je pense que c'est la dernière nuit sur la place mais en aucun cas la fin du mouvement, estime Cristina Ortega, 29 ans, documentaliste. Il a fait évoluer les mentalités des jeunes, leur a donné d'autres valeurs. Même s'il n'y avait plus de tentes ici, on continuerait néanmoins les assemblées générales, notamment dans les banlieues."
A cinq heures du matin, le camp des "indignés" de la Puerta del Sol trouve enfin le sommeil. Avant que la reprise de l'activité madrilène le réveille dans deux petites heures.
A cinq heures du matin, le camp des "indignés" de la Puerta del Sol trouve enfin le sommeil. Avant que la reprise de l'activité madrilène le réveille dans deux petites heures. Le Monde.fr/Audrey Garric
En revanche, Miguel Lobo Camiches, 50 ans, à la tête d'une petite entreprise de bâtiment "en difficulté", assure : "Le campement doit rester ! S'il perd la place, il perd sa force, son unité, sa visibilité. On doit continuer à se regrouper jusqu'à ce qu'on ait créé un parti politique pour prendre le relais." Le débat occupera la fin de la nuit. Ce n'est finalement que vers 5 heures du matin que la place se met en veille, avant de se réveiller deux heures plus tard, alors que la journée démarre. Plus tard dans la journée de dimanche, les "indignés", réunis pour une nouvelle assemblée générale, approuveront massivement la proposition : "Nous restons et nous déciderons plus tard pour combien de temps."

1 commentaire:

Josep Antoni a dit…

Ce week-end j'étais là-bas. À Sol, il y avait beaucoup de personnes, mais c'était difficil parler avec personne. Mais un peu plus loin, à la place du Carmen il y avait une petite assemblée où une cinquantaine de jeunes parlaient des affaires légales et des attitudes devant la police. La réunion était modérée par des jeunes avocats bien documentés. À Madrid on vit une atmosphère très émouvante.Les gens en parlaient au métro, aux places... Les jeunes ont découvert ce qu'est la politique et ils se ressentent les protagonistes. Néanmoins, je suis douteux... Je suis agé? Peut-être.